La Semaine Juridique Entreprise et Affaires  16 mai 2019 (1252)



 Pierre Alfredo

Maître de conférences à la faculté de droit de Montpellier

Avocat au barreau de Montpellier



7. - Invocabilité des usages en matière d'arbitrage international. - L'arrêt ici rapporté (CA Paris, pôle 5, ch. 16, 11 déc. 2018, n° 18/17723 ) est l'occasion de rappeler l'importance d'une source ancienne d'usages du commerce international des semences, les règles et usages de la Fédération Internationale des Semences (FIS, ou ISF, International Seed Federation) pour le commerce des semences végétales (ISF Rules and Usages for the trade in seeds for sowing purposes). Leur dernière version, adoptée par l'assemblée générale de Rio de Janeiro le 27 juin 2012, est entrée en vigueur le 1er juillet 2013. La cristallisation des usages dans ce domaine est apparue indispensable aux professionnels du secteur en raison de la spécificité de ce matériel végétal vivant, dont la qualité conditionne celle des récoltes à venir, cependant que les agriculteurs ne peuvent pas vérifier la qualité des semences au moment de l'achat. Si seule la version anglaise fait foi, une version française en est proposée par l'Union française des semenciers (UFS), consultable en ligne (www.ufs-semenciers.org/actualites/Documents/201301R%C3%A8gles%20ISF%20commerce%20semences%20VF.pdf).

Cet arrêt est aussi l'occasion de revenir sur les conditions dans lesquelles une clause compromissoire non expressément stipulée dans les documents contractuels échangés entre les parties peut néanmoins leur être déclarée opposable. Sans avoir conclu un accord-cadre de distribution, la société française Alpha Semences a distribué en France entre 2003 et 2016 des variétés de semences végétales développées par la société allemande P.H. Petersen, avant que cette dernière n'ouvre la distribution de certaines d'entre elles à des sociétés concurrentes. Devant le tribunal de commerce de Lille (T. com. Lille, 15 mai 2018, n° 2017001859), saisi par Alpha Semences d'une action en rupture brutale partielle des relations commerciales sur le fondement de l'article L. 442-6 du Code de commerce, P.H. Petersen a soulevé une exception d'incompétence au profit du tribunal arbitral de la FIS. Aucune clause compromissoire n'avait été expressément stipulée par les parties, mais les bons de confirmation de commandes passées par Alpha Semences comportaient la mention « terms and conditions : ISF'conditions, Incoterms 2010 ». Or, aux termes de l'article 2.1 des règles et usages de la FIS pour le commerce des semences végétales, lorsque les termes « Règles ISF » sont incorporés dans un « contrat ou tout autre accord, y compris les termes et conditions de vente des semences », les parties acceptent de soumettre leurs litiges à l'arbitrage de l'ISF « comme mentionné à l'article 87 ». Et l'article 87.1 dispose que « tout différend, controverse ou plainte né ou en relation avec les transactions commerciales conclues sur la base des présentes Règles, ou tout manquement à une obligation contractuelle, résiliation ou invalidité du contrat, peut être résolu à l'amiable soit par médiation ou conciliation, soit par arbitrage comme prévus par les Règles de procédure pour la résolution des litiges de l'ISF, à l'exclusion de la procédure judiciaire ordinaire ». Les règles de procédure auxquelles renvoient les règles et usages FIS stipulent enfin que lorsque les termes « Règles ISF » sont incorporés « dans un contrat » tout différend découlant du contrat devra être soumis à l'arbitrage de l'ISF. Alpha Semences contestait que les règles et usages de la FIS aient été portés à sa connaissance, en sorte que la clause compromissoire qu'ils contiennent ne lui serait pas opposable. Elle soutenait par ailleurs que l'importance de P.H. Petersen dans le secteur empêcherait de garantir l'indépendance de l'arbitre, et que les règles et usages de la FIS doivent être interprétés comme n'offrant qu'une possibilité de recourir à l'arbitrage, sans y contraindre. Le tribunal de commerce de Lille rejette l'exception. La cour de Paris, saisie ici en sa qualité de juridiction d'appel des juridictions commerciales compétentes en application de l'article L. 442-6 du Code de commerce, infirme le jugement. Elle juge que la question du défaut présumé d'indépendance de l'arbitre à désigner, s'agissant d'une difficulté relative à la constitution du tribunal arbitral, relève du juge d'appui (qui serait en l'espèce le président du tribunal de grande instance de Paris, V. CPC, art. 1505). Si la formule « résolu à l'amiable (...) par arbitrage » est pour le moins malheureuse, conformément au principe « compétence-compétence », à défaut de nullité ou d'inapplicabilité manifeste de la clause (CPC, art. 1448 et 1506), la cour renvoie à l'arbitre la question relative à son interprétation. La cour statue en revanche sur la question de son existence et de son opposabilité. Pour rendre opposable la clause compromissoire des règles et usages de la FIS, la cour relève la mention « systématique » des « terms and conditions ISF » dans les confirmations de commandes, l'absence de contestation par Alpha Semences, et sa connaissance de ces règles et usages en sa qualité de « professionnelle avisée du secteur ne pouvant en ignorer les usages ». La seule mention « terms and conditions ISF » aurait par conséquent été insuffisante pour déclarer opposable la clause figurant aux règles et usages de la FIS. Si le principe de l'existence d'une clause compromissoire par simple référence au document qui la contient est parfaitement admis dans l'arbitrage international, la convention d'arbitrage n'y étant soumise à aucune condition de forme (CPC, art. 1507), encore faut-il en effet que la partie à laquelle elle est opposée ait eu connaissance de la teneur de ce document au moment de la conclusion du contrat et qu'elle en ait, même implicitement, accepté son incorporation au contrat. La solution est classique (Cass. 1re civ., 26 juin 1990, n° 88-19.707. - Cass. 1re civ., 9 nov. 1993, n° 91-15.194 : JurisData n° 1993-002494 ; JCP G 1994, IV, 51, p. 7. - Cass. 1re civ., 20 déc. 2000, n° 98-21.548 : JurisData n° 2000-007594. - Cass. 1re civ., 11 mai 2012, n° 10-25.620 : JurisData n° 2012-009897), la particularité de l'espèce réside dans celle de la nature juridique du document exogène... un recueil d'usages. Mais on peut aussi remarquer que le sens et la portée à donner à la mention « terms and conditions ISF » ont été recherchés par le juge non pas dans les documents contractuels ni dans la volonté des parties, mais dans les règles et usages eux-mêmes.