Publiées dans l'Hérault Judiciaire et Commercial 


Pierre Alfredo

Avocat au barreau de Montpellier

Maître de conférences à l'université de Paris XII

Docteur en droit des universités de Montpellier et de Barcelone


MULTIPROPRIÉTÉ
avril 2000


Au commencement, une idée séduisante. Puis vinrent les sociétés de vente de semaines de vacances en appartements en temps partagé. Et l'on vit que cela était mal.

Devant l'ampleur des dégâts, une directive CEE 94/47 du 26 octobre 1994 s'est inquiétée d'apporter aux acquéreurs une protection minimale, laissant aux États membres un délai pour la transposition en droit interne expirant fin avril 1997.

La situation a empiré, les sociétés de commercialisation (qui conservent la plus grande partie du prix de vente) ayant alors pratiqué la politique dite " de la terre brûlée ", une escalade dans les moyens frauduleux mis en œuvre cherchant à accélérer les ventes avant la transposition de la directive. Ce furent des milliers de victimes, essentiellement françaises, des pratiques de sociétés implantées essentiellement en Espagne, encore que les sociétés britanniques, surtout off shore, ne fassent pas défaut en la matière. Les États membres concernés au premier chef par ces pratiques ont méconnu leurs obligations et pourraient bien un jour être appelés à en rendre compte, à la lumière de la jurisprudence de la Cour de Justice des Communautés Européennes sur la responsabilité des États pour le préjudice causé du fait du défaut de transposition des directives dans le délai fixé. La France devait en effet attendre le 8 juillet 1998 pour transposer la directive, l'Espagne, le 15 décembre 1998.

Mais de quoi s'agit-il en fait ? Bien subtil qui pourrait le dire. Généralement on cherche à donner à l' "acquéreur ", comme l'appelle la directive, (mais est-ce bien un contrat d'achat ?), le droit de jouir à temps partiel, d'un bien immobilier à usage d'habitation. On comprend que ce droit est fixe dans l'année et valable longtemps, peut-être même toujours ; mais on trouve des semaines dites " flottantes ", pour lesquelles n'est identifiée, ni une résidence particulière, ni une période précise de l'année, ni une durée d'ouverture du droit, mais seulement une couleur qui permet un ordre dans l'attribution des semaines effectives dans le cadre d'un " club " auquel on aurait " adhéré ", le plus souvent selon une procédure assez opaque. Un " trustee " est censé dans ce cas garantir l'existence, derrière ces " flottances ", de titres de " propriété " permettant au vendeur d'assurer l'efficience du fonctionnement du club. Des charges dites d'entretien sont demandées annuellement, dont le cumul sur 52 semaines permettrait bien souvent l'achat de l'immeuble lui-même. Essayons d'y voir plus clair, pour autant que l'on puisse jamais y prétendre.


La nature juridique du droit


Voici les formules que l'on peut relever dans les contrats : " La présente demande d'adhésion est faite… par et entre X (" le membre fondateur ")… et le candidat… Le candidat fait une demande d'adhésion au Y (" le club ")… tous les paiements sont faits à l'ordre de l'administrateur Z (trustee)… le candidat, en tant que détenteur du certificat de Vacances… aura le droit d'occuper l'appartement en tant que membre du club… l'interprétation, la validité et l'exécution du présent contrat seront régis à tous égards par les lois de l'Isle de Man…Les parties se soumettent à la juridiction exclusive des Cours de Isle de Man ". Dans un autre contrat : " La société A est le propriétaire de la résidence B. La société C -même adresse- est le titulaire des semaines de timeshare, objet du contrat, dont le mandataire est la société D. La société E est le gestionnaire de la résidence. La société F est le collecteur du prix. Le client est appelé " le bénéficiaire " et la validité est de 1995 à 2071. A l'objet du contrat, on précise " droit d'occupation " ; L'appartement est identifié, mais les conditions générales au verso précisent " le bénéficiaire acquiert… le droit d'occuper un appartement… cet appartement sera choisi par le gestionnaire de la résidence… " Un autre contrat fait état de " prestation de services ", mais peu après de " droit d'occupation " et écrit aux annexes, " cher propriétaire ", ajoutant " en votre qualité de membre du conseil d'administration ". D'autres contrats font état de " quote-part indivise " mais quelques lignes après de " droit d'usage et de jouissance ". Un autre encore, après avoir indiqué " droit de jouissance et d'exploitation ", soutient que le client est " copropriétaire "… On pourrait multiplier à l'infini les incohérences, les confusions, les contradictions, rendant impossible de qualifier avec certitude la nature exacte du contrat, celle du droit qu'il procure au consommateur.

Et la directive communautaire n'a pas souhaité prendre parti sur la nature juridique des droits en cause, laissant à chaque État membre le soin de la déterminer. La loi française du 8 juillet 1998, dans le souci légitime d'embrasser autant de situations que possible, n'a pas davantage tranché, laissant aux parties la liberté d'en décider. Mais cette liberté, en pratique, aboutit à l'incertitude, à des " monstres juridiques " dont les termes ne permettent pas la qualification. Conséquence de cette liberté, l'absence de publicité foncière rendant les droits opposables aux tiers a permis dans certains cas la revente de la résidence, après commercialisation des semaines, l'acheteur ne reconnaissant plus aucun droit à quiconque et le vendeur ayant disparu sitôt son forfait accompli. Les dépôts de bilan des sociétés venderesses, qui n'étaient propriétaires d'aucun droit réel sur les immeubles dont elles commercialisaient les semaines, aboutissent à ce qu'elles ne puissent plus assurer les départs qu'elles pouvaient auparavant organiser tant bien que mal, par une subtile alchimie, une forme de cavalerie du timeshare

En revanche, la loi française, contrairement à la directive, se garde de faire état d'" acquéreur ", elle parle très justement de " contrat de jouissance d'immeuble à temps partagé ", de " consommateur ", et vise tout contrat conférant directement ou indirectement la jouissance d'un bien immobilier à usage d'habitation par périodes déterminées ou déterminables pour au moins trois années ou pour une durée indéterminée. 

Toutes les figures juridiques sont donc permises : la constitution d'une société soumise à la loi du 6 janvier 1986 relative aux sociétés d'attribution d'immeubles en jouissance à temps partagé permettant l'attribution de parts sociales ou d'actions conférant à leur propriétaire le droit pendant une période de l'année à la jouissance d'une partie des biens sociaux conformément à un tableau d'affectation annexé à l'état descriptif de division ; la constitution d'un droit réel, la cour de cassation admettant la création d'autant de droits réels que l'on pourra imaginer (autres que les démembrements classiques de la propriété et des droits expressément organisés par des textes spéciaux, parmi lesquels le droit d'occupation et de jouissance) ; l'attribution d'un droit personnel, le consommateur n'étant pas acquéreur, il n'y a pas vente d'une chose, le propriétaire ne transmet aucun droit de propriété ni aucun droit réel sur l'immeuble dont il demeure propriétaire, le consommateur obtenant la simple possibilité d'en jouir pendant une période déterminée, comme le permettrait une location. Il s'agirait alors d'un droit mobilier incorporel, et dans l'absence de précisions utiles au contrat, c'est bien, semble-t-il, vers cette analyse qu'il faudrait se diriger.

La loi espagnole, au contraire, prend position. Elle ne dit pas qu'elle concerne les droits réels, en sorte que les contrats puissent la contourner en se contentant d'organiser de simples droits personnels de jouissance temporaire, elle décide qu'elle s'applique à toute constitution, exercice, transmission et extinction du droit d'utilisation à tour de rôle, d'un immeuble, qui attribue à son titulaire la faculté de jouir, à titre exclusif pendant une période précise de chaque année, d'un logement meublé susceptible d'utilisation indépendante. Le droit d'utilisation pourra être constitué comme un droit réel limité, ou par contrat de location qui devra obéir à la fois à la loi sur le timeshare et à la loi sur les baux d'habitation. Elle ajoute clairement, que tout contrat qui constitue ou transmette un quelconque autre droit, réel ou personnel, pour une durée supérieure à trois ans, d'un immeuble, durant une période déterminée ou déterminable de l'année, en marge de la loi du 15 décembre 1998, sera nul de plein droit, toutes sommes payées par le consommateur à quelque titre que ce soit devant lui être remboursée sans préjudice de tous dommages et intérêts.

La loi espagnole donne en outre un rôle important au registre de la propriété, le propriétaire d'un immeuble qui envisage d'affecter celui-ci à ce régime particulier (auquel le législateur espagnol a interdit que l'on donne l'appellation de " multipropriété ", trompeuse selon lui), devra nécessairement en faire la déclaration au registre de la propriété, un formalisme important entourant la démarche.


Le droit de rétractation


La protection essentielle des dispositifs mis en œuvre est le droit de rétractation ouvert au consommateur, dont le délai est fixé par les lois française comme espagnole, au minimum imposé par la directive communautaire, soit 10 jours après la signature du contrat.

C'est bien la protection essentielle, car les plaintes les plus nombreuses et celles pour lesquelles le recours au droit commun est le plus difficile, concernent davantage que les difficultés d'exécution, les conditions d'obtention du consentement. Les méthodes habituelles de vente reposent sur deux principes simples : en premier lieu, la participation à des jeux de hasard truqués dans lesquels le gain d'une semaine de vacances est systématique, qui permet d'entraîner les touristes dans les résidences pour le retrait de leur lot, la seule condition posée étant l'assistance pendant 90 minutes à la présentation d'un " nouveau concept de vacances " ; ensuite, la manipulation psychologique du consentement par une mise en scène bien rodée, des heures durant.

Le droit de rétractation offert désormais par la loi met un frein à ces pratiques, encore que les contrats qui devraient obligatoirement le mentionner s'en dispensent le plus souvent. Ou alors, les vendeurs ont opéré en Andorre, non soumise au droit communautaire, mais qui, lasse des scandales, a fini par prendre un texte de droit interne qui porte à 20 jours le délai de rétractation. Des formules de points, des périodes inférieures à trois ans, le système du club, tentent encore d'échapper au champ d'application de la loi. Mais à l'intérieur même de celui-ci, les pratiques demeurent encore souvent les mêmes, les vendeurs obtenant, dès la signature du contrat, le paiement d'acomptes malgré l'interdiction, tant de la loi française, que de l'espagnole, mais qui, une fois perçus, ne feront, sauf rares exceptions, pas l'objet de remboursement malgré la rétractation dans le délai. La perception d'acomptes avant l'expiration du délai est bien sanctionnée en France d'une peine d'amende lourde de 200.000 F, mais les faits ont généralement lieu en Espagne, en Andorre, au Maroc, et sont le fait de sociétés espagnoles ou anglaises. Quant à la loi espagnole, elle n'assortit l'interdiction d'aucune sanction pénale.

Lorsque les victimes, s'étant rétractées dans le délai de la loi, entendaient frapper d'opposition le chèque remis à la signature du contrat malgré l'interdiction, les banques refusaient, l'opposition au chèque ne pouvant être motivée par l'existence d'un contentieux sur la validité du contrat. Des oppositions pour vol furent donc formées au risque, c'est un comble, d'engager sa responsabilité pénale. Certaines sociétés ont alors saisi le juge des référés sur le fondement du seul droit cambiaire pour faire lever l'opposition ; mais les juridictions, les unes après les autres, ont unanimement rejeté les demandes de mainlevée, estimant que " si… l'opposition à paiement… n'apparai(ssait) pas justifiée pour perte ", le chèque " était devenu sans cause par suite de l'annulation automatique du contrat souscrit ", en sorte que la " tentative d'encaissement effectuée par la société X … (était) susceptible, dans les circonstances de l'espèce, de constituer une utilisation frauduleuse d'un instrument de paiement sur lequel elle avait perdu tout droit, et correspond(ait) à l'un des cas visés à l'article 32 du décret-loi du 30 octobre 1935 que les consorts Y apparaiss(aient) fondés à invoquer pour s'opposer à la demande de mainlevée d'opposition présentée par la société X. "

Il faut saluer ce courant jurisprudentiel, comme celui des nombreuses juridictions françaises qui ont accepté de retenir leur compétence pour des contrats espagnols et de les annuler pour dol ; et il faut espérer d'autres mouvements de jurisprudence, comme la mobilisation des parquets, qui fassent encore reculer les nombreux abus que l'on peut déplorer en la matière, constitutifs de véritables manœuvres frauduleuses ayant permis des profits colossaux aux dépens d'un nombre considérable de familles modestes dépouillées de leurs économies et honteuses de leur méchante mésaventure.