La Semaine Juridique Entreprise et Affaires 18 juin 2020 (1235)



 Pierre Alfredo

Maître de conférences à la faculté de droit de Montpellier

Avocat au barreau de Montpellier



5. - Définition de l'usage dans le règlement Bruxelles 1 bis. - Y avait qu'à demander ! C'est en substance ce qui aurait pu être répondu au cas d'espèce pour juger la validité d'une clause de prorogation de for contenue dans des conditions générales de vente. Elle devait être appréciée au regard des dispositions de l'article 25 du règlement (UE) n° 1215/2012 du 12 décembre 2012 concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale, dit « Bruxelles I bis » (PE et Cons. UE, règl. (UE) n ° 1215/ 2012, 12 déc. 2012 : JOUE 20 déc. 2012, n° L 351, p. 1). Selon ce texte, la convention attributive de juridiction peut n'être pas convenue par écrit si elle est conclue « sous une forme qui soit conforme aux habitudes que les parties ont établies entre elles » (PE et Cons. UE, règl. (UE) n° 1215/2012, 12 déc. 2012, préc., art. 25, § 1, b)), ou, « dans le commerce international, sous une forme qui soit conforme à un usage dont les parties ont connaissance ou étaient censées avoir connaissance et qui est largement connu et régulièrement observé dans ce type de commerce par les parties à des contrats du même type dans la branche commerciale considérée » (PE et Cons. UE, règl. (UE) n° 1215/2012, préc., art. 25, § 1, c)). Justement, est-il d'usage dans le commerce international de convenir d'une telle clause par une simple mention sur les factures selon laquelle les conditions générales de vente sont disponibles sur demande ? Par l'arrêt rapporté ( Cass. com., 20 nov. 2019, n° 18-21.854 , inédit : JurisData n° 2019-021334), la Cour de cassation a sanctionné la cour d'appel de Paris qui avait répondu par la négative. La jurisprudence qui permet d'opposer à l'acheteur la clause non expressément acceptée, reproduite au verso de factures ou de documents commerciaux du vendeur lorsque les parties ont entretenu entre elles des « rapports commerciaux courants » est ancienne (CJCE, 14 déc. 1976, aff. C-25/76, Segoura. - CJCE, 19 juin 1984, aff. C-71/83, Tilly Russ). Dans l'espèce commentée, la cour d'appel avait néanmoins rejeté l'exception d'incompétence au motif que les factures ne comportaient pas les conditions générales reproduisant la clause, et qu'elles ne renvoyaient pas à des conditions générales qui auraient été remises à l'acheteur, mais se limitaient à indiquer qu'elles étaient « disponibles sur demande ». Qu'elles aient pu n'avoir jamais été effectivement remises n'a pas été regardé comme un obstacle. La Cour de cassation a considéré que la clause avait néanmoins été « conclue » entre les parties au sens du règlement Bruxelles Ibis. En visant expressément le c) de l'article 25 précité, elle consacre par ailleurs clairement l'existence d'un « usage » du commerce international, lequel doit être distingué des « habitudes » établies entre les parties visées au b). Parfois, les deux notions sont retenues ensemble, sinon confondues. Dans un précédent arrêt, la cour d'appel de Paris (CA Paris, pôle 5, ch. 4, 20 sept. 2017, n° 16/05033 ; JCP E 2017, 1595, spéc. n° 10, obs. P. Alfredo) a retenu que la reproduction de la clause dans les factures attestait « d'un usage commercial convenu entre les parties et accepté par chacune d'elles ». Dans une affaire où le pourvoi se fondait sur le b) de l'article 25 du règlement, en faisant exclusivement état des habitudes établies entre les parties, la Cour de cassation (Cass. 1re civ., 13 févr. 2013, n° 11-27.967, inédit : JurisData n° 2013-002226) a validé la clause des conditions générales de vente figurant au verso des factures au motif que les parties « entretenaient des relations commerciales suivies ». Mais au seul visa de l'article 23 du règlement Bruxelles I (devenu 25 dans le règlement Bruxelles I bis), sans viser ni le b), ni le c). Sans préciser par conséquent si la clause était jugée opposable parce qu'elle était conforme aux habitudes établies entre les parties (b), ou parce que tel était l'usage dans le commerce international (c). L'arrêt rapporté a le mérite d'être sans ambiguïté. Lorsque les parties ont entretenu des rapports courants d'affaires, il n'est pas nécessaire que les conditions générales soient effectivement remises à l'acheteur pour que la clause de prorogation de for qu'elles contiennent lui soit opposable. Il suffit qu'il puisse les obtenir sur demande. Et il s'agit bien d'un « usage » du commerce international dont les parties ont connaissance ou sont censées avoir connaissance au sens de l'article 25, § 1, c) du règlement Bruxelles I bis.