Presses Universitaires du Septentrion

La délimitation des contrats d’acquisition de titres soumis à la réglementation des OPA dans les droits français et espagnol

Pierre Alfredo


RÉSUMÉ


1. Traditionnellement, l'OPA est abordée comme l'une des trois techniques principales d'acquisition des sociétés, à côté du ramassage en bourse et de l'acquisition de blocs de titres par la négociation privée.

Dans notre approche, l'intérêt est porté, non sur l'analyse de cette technique spécifique, qui suppose réglée la question préalable du champ d'application du droit des OPA, mais sur la recherche des opérations qui sont soumises à cette technique, ou plus exactement, qui relèvent  du droit des offres publiques.

Les droits français et espagnol ne cherchent pas à définir le concept d'OPA et ne subordonnent pas l'application d'un corps de règles dérogatoires à la qualification qui sera retenue pour la technique utilisée par un opérateur.

Ils vont au contraire s'attacher principalement à définir les opérations qui, qu'elles soient ou non, dans leur nature, des OPA, seront conduites dans le respect de ce corps de règles dérogatoires qu'on peut appeler droit de l'OPA.

2. Là où se trouvait seulement la réglementation d'une technique d'acquisition de sociétés cotées, a émergé une nouvelle discipline qui désigne cette technique comme seule acceptable.

A l'origine de cette singulière impulsion, l'OPA obligatoire. Récemment introduite dans les droits français et espagnol, elle est cause de l'application du droit des OPA à bien des contrats jusqu'alors régis par le seul droit commun. Ce qui auparavant n'était qu'une technique d'acquisition de titres parmi d'autres est devenu la seule et unique procédure d'acquisition d'une société cotée en bourse.

Plus exactement, et pour tenir compte du caractère a posteriori de l'OPA obligatoire française, toute cession de société cotée entrainera nécessairement la présentation d'une OPA. Ce qu'un auteur exprimait par ce raccourci saisissant : "Avec le recul du temps ... on peut même dire que toute l'histoire de la réglementation en la matière est celle de l'élimination progressive par l'OPA des autres procédures d'acquisition".

3. L'application du droit des OPA français ou espagnol s'est détachée de la nature de l'opération considérée.

Que celle-ci conduise aux situations définies par la loi, et ce droit interviendra, les parties l'aient ou non voulu, aient-elles eu ou non recours à l'offre publique; qu'elle n'y conduise point, et elle n'intéressera pas le droit des OPA.

Dans le premier cas, citons l'acquisition de blocs de titres ou les prises de participations indirectes dans des sociétés cotées ; dans le second, l'OPA sur les sociétés non cotées ou, en France, de nationalité étrangère.

L'OPA ne délimite plus le champ d'application du droit des OPA ; au reste, on ne cherche plus vraiment à la définir.

4. Cette nouvelle physionomie de la matière est commune aux deux pays. Des différences importantes existent par ailleurs entre les droits français et espagnol. Elles résultent pour l'essentiel d'un interventionnisme plus marqué en droit français.

5. Le caractère a priori ou a posteriori de l'offre obligatoire en fournit un premier exemple.

L'OPA obligatoire a posteriori retenue par le droit français est d'apparence plus libérale : l'opération préalable, cause de l'obligation, peut en effet être conclue dans les conditions du droit commun. En Espagne, au contraire, l'offre obligatoire n'est pas la sanction d'une situation acquise mais le "chemin" pour y parvenir. L'intervention se produit donc en amont. L'acquisition d'une participation significative échappe alors au droit commun.

Pourtant, ce faisant, le droit espagnol ne fait qu'imposer une procédure pour une acquisition que l'on est toujours libre de réaliser ou non, là où le droit français crée une véritable obligation de contracter.

6. L'objectif imposé à l'offre obligatoire est un autre exemple de l'interventionnisme accru du droit français. L'offre obligatoire est en principe partielle en Espagne, mais toujours totale en France. Les conséquences financières de l'obligation de viser tous les titres de la cible sont considérables. L'accès au marché du contrôle en résulte singulièrement restreint ; la compétition internationale plus vive.

C'est sans doute cette dernière préoccupation qui a conduit l'Espagne à maintenir l'offre partielle malgré le choix contraire des projets d'harmonisation communautaire.

7. La mesure la plus spectaculaire est assurément l'institution du retrait obligatoire.

Elle a soulevé les protestations des auteurs les plus acquis aux contraintes imposées par le droit des OPA. Elle oblige à «contracter» sans qu'aucun comportement préalable de l'intéressé ne soit plus nécessaire.

A la vérité, elle ignore jusqu'au contrat lui-même. Elle dépossède sans souci du moindre échange des consentements. Les actionnaires d'une société cotée qui représentent moins de 5 % du capital peuvent être contraints par les majoritaires à sortir de la société et à leur «transférer» leurs titres. Du point de vue du droit des obligations, il y a rupture unilatérale d'un contrat à durée déterminée (le contrat de société), sans que ne soient invoqués, ni faute du contractant, ni cas de force majeure. Du point de vue du droit réel, il y a expropriation.

L'Espagne ne connait pas le retrait obligatoire.

8. Evoquons enfin, la question du prix d'offre. Le droit espagnol, comme le français, admet exceptions et limites au principe de sa libre fixation par l'initiateur. Mais il n'y a guère qu'en droit français que l'autorité de marché a toujours un droit de regard sur la fixation du prix. Elle jouit aussi de plus amples prérogatives dans l'exercice de son pouvoir de contrôle.

9. Cet interventionnisme croissant a provoqué des attitudes nouvelles sur les marchés financiers. La crainte révérentielle qu'inspiraient hier les autorités boursières, a laissé la place à l'esprit critique, voire rebelle.

Les textes émanant des autorités boursières font rarement l'économie d'un examen attentif de leur légalité. La loi elle-même est questionnée sur sa conformité à la constitution ou aux conventions internationales. La matière, jadis consensuelle, devient contentieuse.